La rancune tenace de la Françafrique

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Le chantage diplomatique exercé par le pouvoir d’Emmanuel Macron sur les ressortissants des pays d’Afrique récalcitrants à sa politique étrangère est simplement déplacé et contre-productif en pleine multipolarité des relations internationales…
En effet dans le monde actuel, aucun pays, fût-il une puissance moyenne, ne peut plus se concevoir comme indispensable voire irremplaçable en Afrique, y compris auprès des plus pauvres comme le Niger, le Mali et le Burkina Faso.
C’est donc toute la stratégie paternaliste et condescendante française en Afrique qui doit être revue de fond en comble. Parce que rien, absolument rien n’interdit désormais aux pays africains d’appliquer la réciprocité en rétorsion notamment aux suspensions ciblées de visas contre leurs ressortissants, notamment en privilégiant d’autres partenaires et destinations de leur choix.
C’est ce qu’ils font déjà, et qui est appelé à s’accélérer en réaction à ce chantage d’inspiration néo-coloniale, étendu maladroitement aux artistes et universitaires.
Joël Didier Engo, Président de l’association NOUS PAS BOUGER
Accueil / Culture Libération le 14 sept 2023

Coups d’Etat

La France suspend ses coopérations artistiques avec le Niger, le Mali et le Burkina Faso, le spectacle vivant dénonce une «erreur politique»
Le ministère de la Culture a enjoint mercredi 13 septembre aux structures françaises subventionnées de cesser toute collaboration avec trois pays du Sahel où ont été menés des putschs ces derniers mois. Après le tollé, le Quai d’Orsay a précisé que les artistes déjà programmés en France n’étaient pas concernés.

par Ève Beauvallet

publié le 14 septembre 2023 à 17h31
C’est un courrier «inédit», selon ses destinataires, qui marque pour eux une bascule philosophique profonde dans la politique qu’entendait mener la France en matière de solidarité artistique internationale. Mercredi 13 septembre au matin, le secrétariat général du ministère de la Culture, sur instruction du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, enjoignait par courrier aux structures culturelles françaises subventionnées de «suspendre, jusqu’à nouvel ordre, toute coopération avec les pays suivants : Mali, Niger, Burkina Faso. Par conséquent, tous les projets de coopération qui sont menés par vos établissements ou vos services avec des institutions ou des ressortissants de ces trois pays doivent être suspendus, sans délai, et sans aucune exception». Exit également toute forme de soutien financier, d’invitation lancée aux ressortissants de ces trois pays, et toute forme de visas évidemment – ces derniers étaient déjà gelés depuis fin juillet, mais le courrier est clair : «sans exception», «jusqu’à nouvel ordre». Outre la tonalité jugée «comminatoire» du message, son contenu a provoqué l’incompréhension de plusieurs syndicats et associations du secteur, répliquant dans la foulée par communiqués.
Le réseau de musique du monde Zone franche, association qui pilote le dispositif Visas Artistes visant à fluidifier la circulation de ces derniers, s’apprêtait à inaugurer la nouvelle édition de leurs états généraux «Géopolitique et Musique» lorsque le courrier leur est parvenu. Selon eux, prises dans une interprétation «à la lettre», ces mesures seraient en contradiction avec les engagements internationaux de la France et notamment ceux de la convention 2005 de l’Unesco «sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles». Par communiqué, ils s’interrogent donc sur le périmètre et la mise en œuvre : «Est-ce à dire que les salles et festivals en France ne peuvent plus programmer d’artistes ressortissants de ces trois pays ? S’ils venaient à le faire, quelles en seraient les conséquences ? Y a-t-il un risque de perte de subventions ou autre ? Un artiste possédant un visa Schengen délivré par un pays européen tiers, donc ayant le droit de circuler en France, peut-il tout de même venir exprimer son art sur nos scènes ?»
«Il y a de quoi être atterré»
Christophe Marquis, qui accueille depuis trois semaines le jeune plasticien et designer burkinabè Kader Kaboré dans les locaux de l’Echangeur à Château-Thierry (Hauts-de-France), en vue d’une exposition vernie samedi 16 septembre, n’annulera «rien du tout». «L’Etat, le département, la région, la ville sont tous invités au vernissage prévu samedi dans le cadre des Journées du patrimoine. Je ne commenterai pas la position diplomatique de la France dans ce contexte de putschs militaires, mais que l’Etat nous demande, à nous, de punir les artistes, et sur un ton aussi martial, il y a de quoi être atterré.»
Pour le principal syndicat d’employeurs de la filière spectacle vivant, le Syndeac, cette entrave n’a «aucun sens d’un point de vue artistique et constitue une erreur majeure d’un point de vue politique. C’est tout le contraire qu’il convient de faire. Cette politique de l’interdiction de la circulation des artistes et de leurs œuvres n’a jamais prévalu dans aucune autre crise internationale, des plus récentes avec la Russie, aux plus anciennes et durables, avec la Chine».
«C’est la double punition»
Au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, on tient à rappeler la différence de configuration – «il n’y a jamais eu d’attaques russes contre une ambassade française». Et l’on précise, récusant une quelconque forme de «bannissement» des artistes : «Les projets déjà lancés et en cours en France ne sont pas concernés. La suspension concerne seulement les nouveaux projets menés sur place, en Afrique.» Il ne s’agirait donc pas «d’un gel de la coopération artistique, mais d’un gel de la politique d’aide au développement qui serait faite au profit des putschistes, que nous ne reconnaissons pas. Les conditions sécuritaires sont trop dégradées». Par communiqué, le Quai d’Orsay ajoutait jeudi soir : «Aucune déprogrammation d’artistes, de quelque nationalité que ce soit, n’est demandée ni par le ministère des Affaires étrangères ni par le ministère de la Culture. […] Cette décision n’affecte pas les personnes qui seraient titulaires de visas délivrés avant cette date ou qui résident en France ou dans d’autres pays.» Reste donc, directement impactée parmi tant d’autres, la coopération entre le Manège de Reims, scène nationale, et la Termitière, centre de développement chorégraphique de Ouagadougou. La structure française dirigée par Bruno Lobé, qui accueille régulièrement des ressortissants de ces pays, finance notamment des bourses de formations ou de résidences, garantissant en outre à la Termitière une indépendance via la pluralité de ses financements.
Pour Salia Sanou, chorégraphe et créateur de la Termitière, cette instruction relève «de la folie». «Face aux limites des relations politico-militaro-diplomatiques, la culture est tout ce qu’il nous reste comme passerelle et espoir de dialogue entre communautés.» De son côté, Bruno Lobé ne voit pas comment, «d’un point de vue éthique, rompre des liens créés depuis des années avec des artistes qui travaillent dans la précarité». Outre la survie de ce lieu central de la vie culturelle burkinabè, «dans lequel des centaines de danseurs et chorégraphes de la région placent chaque jour leurs espoirs», poursuit Salia Sanou, la décision impactera également la création et la tournée de ses pièces en Europe, celles-ci comptant plusieurs ressortissants des pays visés. «Pour eux, comme tant d’autres, c’est terrible, c’est la double punition.» Plusieurs syndicats et associations devraient s’entretenir avec le conseiller aux Affaires étrangères de la ministre de la Culture dans les heures qui viennent.
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